Après que le train avait vomi son monde et était reparti dans un charivari de ferrailles ;
après que le monde avait déserté l’asphalte du quai, chacun vaquant vers son aléatoire
ailleurs, la jeune femme à la longue robe de traîne demeurait là sans y être.
S’était-elle aperçue qu’il ne restait plus qu’elle ?
Sa longue robe de toile légère voletait sous les assauts irréguliers de la brise tiède, tantôt la gonflant comme une outre, tantôt plaquant ce corps, le rendant plus fragile encore.
Ses yeux, au-delà du monde, semblaient suivre la course des nuages dans le jour finissant, entraînant dans leur sillage de perle des langues aux teintes de feu.
Seule, elle ne l’était pas tout à fait.
Le jeune chef de gare, qui se demandait encore pourquoi on l’avait débarqué dans ce bourg de fin des temps, la considérait, la tête un brin penchée vers une épaule.
Il ne l’observait plus vraiment ; plus comme au début.
Il avait compris qu’autant que les soirs succèderaient au jour, la jeune femme, diaphane et aérienne, apparaîtrait telle une colombe illuminant de sa présence la crasse du quai. Faisant abstraction du reste du monde.
Seuls ses yeux rappelaient le noir bitume, juste quand le soleil, derrière l’horizon s’éclipsait dans une dernière farce.
Depuis qu’il avait repéré qu’à ce moment précis, les yeux auraient pu engloutir n’importe quel démon, le jeune chef ne s’était plus approché de la femme, pour lui proposer une quelconque aide.
Elle n’avait besoin de rien ni de personne.
Il aurait voulu la toucher, comme ça, juste pour savoir si elle existait dans ce monde, sur ce quai.
Elle était là, sans y être, jusqu’à l’instant où l’embrasement des cieux enflammait en elle une sourde fureur, confinant à la démence de celui qui peut tout, qui n'a rien à perdre, rien à gagner.
Elle aurait dévoré n’importe qui, n’importe quoi, pour ne pas se laisser happer.
Un jour, se disait-il, le mal qui la rongeait serait plus fort et elle en succomberait.
Pour l’heure, la silhouette vacillante s’estompait peu à peu, se fondait à la pénombre.
Juste après que la nuit avait absorbé le jour, dans un froissement discret, un dernier jeté d’étoffe blanche s’en allait au loin, en filigrane sur fond de rails à l’infini…