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7 novembre 2010 7 07 /11 /novembre /2010 10:18

 

« J’irai voir le ciel bleu de la montagne » lance-t-elle encore une fois.

Mathilde ira voir le ciel bleu de la montagne.

« Avec lui » ajoute-elle, dans un souffle.

Avec lui avait-elle hurlé juste avant.

Puis elle ne dit plus rien. Elle se laisse happer derrière les larges portes vitrées, dans les bras blancs qui l’emportent loin du bleu du ciel. En reniflant la morve qui dégouline sur sa bouche.

 

« Du repos » avait suggéré le médecin. Il ne lui avait pas conseillé directement. Comme une confidence qu’elle n’aurait su entendre.

« Du repos, seule… Seule solution. » avait-il déclaré dans un murmure à Etienne, son fiancé. Enfin, ce qu’il en reste.

Etienne la regarde partir de l’autre côté de la haute baie. Ca fait longtemps qu’il est de l’autre côté ; de l’autre côté de sa vie. S’en est-il aperçu au moins ? Elle ne le saura pas aujourd’hui.

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Elle ne se débat pas. Plus.

 

Il a accepté, signé pour ainsi dire ce qu’elle sait être son enfermement. Sans doute la croit-il folle. Depuis un certain temps déjà. Parce qu’elle s’est tue. A quoi bon se tuer à expliquer quand l’autre reste rivé sur ce qui lui sert de centre du monde : son nombril ?

Son nombril à elle, il est ouvert, grand ouvert comme une boutonnière qui ne se refermerait jamais sur un bouton. C’est plutôt un signe de bonne santé, non, l’ouverture ? Parce qu’elle n’a rien à cacher dans ses tripes. Elle ne ment pas. A croire que lorsqu’on ne ment pas, à soi-même ou autres autres, on fait partie des dingues dans la bonne société des bien-pensants.

 

Etienne, c’est la houle. La houle des jours de tempête. Bien qu’elle envoie valdinguer tout inconscient qui aurait pris la mer par gros temps, le gros bateau comme le petit rafiot n’ont d’autre choix, dans le remous des vagues, que de s’y accrocher.

Etienne, elle l’a fait sien. Elle s’y est agrippée. Il s’en est accommodée. Il a établi sa loi. Pas forcément celle du plus fort. Mais celle du plus faux. Et quand même, à ce jeu, il est devenu le plus fort.

Et elle, pendant ce temps, elle a rêvé.

 

Combien de fois n’a-t-il pas affirmé, exulté, « Oh, Mathilde, c’est une idéaliste, qui fait sa vie comme une chimère ; elle passe son temps à naviguer entre monts et merveilles…»

Combien d’années a-t-elle rêvé qu’il eut pu dire d’elle « elle est mignonne avec ses rêves d’enfant »… « je l’aime pour cette innocence »… Des petits mots comme ça qui font du bien quand ils s’envolent dans une brise souriante.

Mais non, il fallait avoir la tête sur les épaules. Ne le scandait-il pas à tout bout de champs ? Alors, elle répondait, à peine piquante : « Tu la vois, là, ma tête, elle tient en équilibre, sur mon cou, sur mes épaules, petite boule un peu branlante au sommet d’un squelette de rien … Et la tienne, c’est pareil, elle ne tient ni mieux, ni moins bien ! » Et la voilà partie de son inimitable éclat de rire qui couperait court à n’importe quelle argumentation étayée d’airain.

Sans appel, la réponse d’Etienne tombait à chaque fois, à peu près identique : « Heureusement que je suis là pour la vraie vie, va ! Tu dis n’importe quoi ! » et dans une grimace agacée, il tournait les talons.

 

C’est ainsi, qu’en silence, les pleurs de Mathilde avaient commencé.  Parce que les souvenirs de leur rencontre de lait et de miel s’éloignaient, cette rencontre lointaine en devenait d’autant plus prégnante dans son esprit. D’autant plus manquante. Comme un trou que fait dans la terre la racine arrachée.

C’est alors que les premiers symp-tômes, comme Etienne savait si bien le prononcer à qui voulait l’entendre, étaient apparus.

Des dessins, des esquisses, qu’elle faisait un peu partout, sur n’importe quel bout de papier à traîner sous son crayon. Toujours, des végétaux, des paysages. Puis, elle y mettait de la couleur. C’était même sa seule préoccupation lorsqu’elle rentrait du bureau. Rendre la couleur à ce que la mine de son crayon n’avait su que griser. Oui, de la couleur, partout dans la vie.

 

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Ensuite, elle n’avait plus compris. A mesure qu’elle s’évertuait à colorier leur vie, lui devenait incisif, aigre et mordant. Et les larmes lui montaient aux yeux plus souvent encore. Quelque chose avait dû lui échapper. Parce que finalement, où est-il, le mal qu’elle lui faisait, dans ces dessins ?

Pour atténuer le gouffre qui commençait à les séparer, elle ne trouvait rien d’autre pourtant, que ses crayons. Elle les reprenait, partout, ils l’a comprenaient, savaient suivre les volutes de sa pensée, la fantaisie de son âme, ses aspérités aussi. Même sur les formulaires administratifs du bureau, ses crayons se baladaient. Son chef avait fini par la convoquer.

 

« Enfin, Mademoiselle, vous ne pouvez pas continuez comme ça ! Si votre collègue n’avait pas eu ce dossier en main ce matin, il serait parti avec ces gribouillis…. Vous rendez-vous compte ? » La voix de fausset de son chef était montée presque jusqu’à la rupture.

Ce point de rupture, quand s’était-il produit ? Elle ne le savait plus.

Elle se souvenait juste n’avoir pu articuler aucun mot en guise de réponse, tant le terme de gribouillis lui avait coupé le souffle. Ses petits dessins, tout doux, tout bleus, le baume de son âme…de vulgaires gribouillis ?

Etienne, le soir-même, s’était obstiné. Lui non plus ne voulait rien entendre ? Alors, était-il toujours son homme, celui qui l’aime, oui ou non ?

Ou qui l’aimait…

A partir de là, c’est sûr, son cerveau avait refusé de comprendre.

 

La mémoire de quelques jours, quelques semaines peut-être, passés à la maison avec les regards d’Etienne de plus en plus soupçonneux, torves même, à son égard et envers les esquisses, la torturait chaque jour un peu plus. Quand elle entendait ses pas, elle s’empressait de cacher sous des piles ses petits protégés. Pourquoi, eux, auraient-ils dû subir ses foudres ?

Etienne ne criait plus. C’était presque pire. Il était d’une froideur polaire.

 

Les derniers, surtout, elle avait voulu les protéger. Parce que les crayons avaient décidé d’eux-mêmes : sur le papier, ils ne traçaient plus les courbes de tiges ou de pétales, les lignes du relief ou de l’horizon. Ils avaient pris un autre chemin. Les courbes étaient celles d’un menton, d’une joue ou d’un œil. Les lignes écrivaient un nez, une bouche… Presque toujours les mêmes ; l’expression juste changeait.

 

Lorsqu’elle sent dans son dos, une dernière fois, le reflet de la silhouette longiligne d’Etienne sur la vitre, elle sent aussi, du bout de ses doigts, le grain du papier, sous son tee-shirt.

Elle sait qu’elle a emporté le plus beau, le plus doux des portraits.

Elle sait aussi que c’est avec lui qu’elle ira là-bas.

Elle attendra le temps qu’il faudra. Elle a compris qu’il en faut parfois, du temps. Beaucoup.

 

Mais il ira, le jour venu, voir le ciel bleu de la montagne, avec lui.

 P1000929

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